Cartographer’s Gaze: Émile Prisse d’Avennes Canvas of Islamic Art
Toby Leon

Regard du cartographe : Toile d'art islamique d'Émile Prisse d'Avennes

Il marchait avec du papier là où d'autres apportaient des pioches. Là où l'empire pillait dans des caisses, il traçait au graphite. Émile Prisse d'Avennes ne conquit pas les ruines—il communiait avec elles. Pas content de simplement observer, il absorbait : les dômes lui murmuraient des proportions, les mihrabs offraient une grammaire, et chaque corniche en ruine devenait une conversation.

Prisse d'Avennes n'était pas un homme cataloguant le passé—il était un sismographe humain, enregistrant les répliques de civilisations refusant de disparaître tranquillement. Avec un pied dans la géométrie des Lumières et l'autre dans le souffle poussiéreux du Caire, il ne construisait pas des monuments, mais la mémoire elle-même.

Ce qu'il dessinait ne faisait pas que représenter. Cela se souvenait à l'avance. Et ce qui émerge des couches de son travail n'est pas de la nostalgie ou du sauvetage—c'est une sorte de défi. Avant que les pierres ne puissent être réduites au silence, il les faisait parler. Et maintenant, plus d'un siècle plus tard, leurs voix restent encrées dans son archive, attendant d'être entendues pleinement.

Points Clés

  • Architecte de la Mémoire Culturelle: Prisse d'Avennes a méticuleusement cartographié le patrimoine architectural de l'Égypte, transformant des structures éphémères en archives durables.

  • Fusion de l'Art et de l'Anthropologie: Ses œuvres mêlent harmonieusement expression artistique et détail ethnographique, offrant une perspective multidimensionnelle sur la culture égyptienne.

  • Préservation au Milieu de la Transformation: Grâce à des techniques innovantes, Prisse a assuré la survie de l'héritage artistique de l'Égypte pendant une période de changement rapide.

  • Naviguer dans les Complexités Coloniales: Opérant dans les cadres de l'Orientalisme, son travail reflète les tensions entre appréciation et appropriation.

  • Influence Durable: Les archives complètes de Prisse continuent d'informer les études contemporaines, soulignant l'importance durable de ses contributions.


La Pierre comme Phrase : Prisse d'Avennes Parmi les Minarets

Sous le treillis ocre d'un arc fatimide, où l'écho de la prière s'enroule encore autour de la géométrie comme de l'encens, un jeune ingénieur français s'est un jour arrêté—graphite en main, papier tremblant dans l'air réchauffé de l'aube. Il n'était pas un voyageur esquissant des curiosités. Il était un chirurgien de la forme, disséquant la ligne d'horizon du Caire par la lumière et l'ombre, l'encre et l'arc. Chaque arabesque gravé sur sa page est devenu une pierre angulaire de la mémoire ; chaque dôme, un glyphe dans un langage silencieux de grandeur. Émile Prisse d’Avennes—architecte, antiquaire, obsessionnel—n'est pas arrivé pour contempler, mais pour documenter. Et dans cette quête, il a offert à l'Europe un registre kaléidoscopique de l'architecture islamique, des mihrabs mamelouks sculptés aux pylônes flanqués de hiéroglyphes de Louxor.

Prisse n'errait pas comme un chroniqueur occasionnel du déclin mais comme un esthète médico-légal—extrait des données des os des mosquées, palais et tombes. Les rues du Caire sont devenues son manuscrit en plein air, chaque brique et niche une strophe. Il a capturé le résidu de la vie : des marchands en pleine négociation, des chapelets de prière défilant entre les doigts, des carreaux bleu émaillé captant le soleil comme un appel au souvenir. Sa mission portait le filigrane d'une époque où la conquête se déguisait en classification. L'œil de Prisse, formé à l'ordre des Lumières, cherchait la cohérence ; sa main, façonnée par le désir du XIXe siècle, tentait de figer le mouvement de la ville en grilles et en figures. Dans le crépuscule du Caire, il n'était pas seulement un chroniqueur. Il était le paradoxe de la préservation—cartographiant la beauté tout en accouchant de son exil.


De Flandre au Nil : le passage de Prisse dans un monde oriental

Personne n'a averti le jeune Prisse d’Avennes que la carte qu'il suivrait vers l'est n'avait pas de légende pour l'auto-effacement. Né dans le gris administratif d'Avesnes-sur-Helpe—un lieu repassé où les noms de famille surpassaient les instincts—il aurait dû grandir dans le droit, dans le protocole, en un homme qui mesurait les digues et signait des contrats. Au lieu de cela, il a changé de cap. Échangé la lignée pour la longitude. S'est enrôlé dans la guerre d'indépendance grecque. A lorgné l'Inde. A plané en Palestine. A dérivé vers l'Égypte comme une pièce glissant sur une table inclinée.

En 1827, il était arrivé au Caire. Employé par Muḥammad ʿAlī Pacha pour enseigner la géométrie et esquisser des rêves hydrauliques, Prisse aurait pu disparaître dans la bureaucratie des plans de canaux et des mathématiques des digues. Mais au lieu de cela, quelque chose s'est fissuré. Il a laissé tomber son nom de famille dans le Nil et a refait surface en tant qu'Idriss Efendi—parlant arabe, vêtu de caftan, les doigts piqués d'encre à force de copier des scripts coraniques à la lumière de la lampe. Pas un déguisement. Une mutation. Ses journaux ont enregistré non seulement des mesures, mais des invocations : des charmes contre les maux de dents, des commérages de village sur les djinns, la recette chuchotée pour calmer un âne ensorcelé. Pas du romantisme. Un enregistrement.

Au moment où sa fille, Zohra Hanim, est née d'une femme nommée Cherifa Soliman, Prisse traduisait déjà plus que la langue. Il écoutait les murmures de la ville à travers les callosités de son architecture. Ce que la France lui avait appris à calculer, Le Caire lui a appris à croire : qu'un bâtiment pouvait saigner si on le traçait mal. Que la courbe d'un mihrab n'était pas seulement spatiale, mais théologique. Que les linteaux répondaient.

Il s'est peut-être converti à l'Islam. Peut-être pas. Ce qui importe davantage, c'est qu'il a copié ses prières dans ses carnets avec la même encre méticuleuse qu'il utilisait pour les élévations de dômes. La foi, pour Prisse, était peut-être moins une révélation qu'un ruban—quelque chose que l'on schématise en couches, comme un minaret effondré ou une fresque écaillée.

Mais ne vous y trompez pas—il ne s'est pas dissous. Il a doublé. Les mêmes habitudes qui lui permettaient de se fondre lui permettaient aussi d'extraire. Il était fluide dans la dissonance. L'intimité n'excluait pas l'extraction; elle la déguisait. Comme beaucoup de ses pairs saint-simoniens, Prisse voyait l'Égypte non pas comme étrangère, mais comme embryonnaire—une version antérieure de l'Europe en attente d'être archivée et améliorée. Ce qui le séparait des orientalistes à tabatière n'était pas la pureté mais l'obsession. Là où ils composaient des fantasmes, il triangulait des données. Là où ils sirotaient du thé à la cardamome sur des balcons ombragés, il dessinait des tombes pendant que les moustiques vidaient ses chevilles.

Le Caire dans les années 1830 n'était pas un parchemin passif. C'était une architecture contestée : des ingénieurs français murmurant des rêves bonapartistes, des agents britanniques traçant des routes maritimes à la craie impériale, des gouverneurs ottomans fléchissant une autorité empruntée. Dans ce chaos, Prisse s'est incrusté comme une fièvre—passant les frontières non par la force, mais par la fluidité. Ses cartes n'étaient pas des cartes. Elles étaient des traductions du système nerveux en voie de disparition d'une ville, encrées artère par artère.

Et pourtant : le paradoxe ne cligne jamais des yeux. Il appartenait suffisamment pour dessiner sans suspicion, mais jamais assez pour disparaître dans ce qu'il dessinait. Chaque plan de mosquée qu'il publiait à Paris portait le fantôme de son contexte : la confiance qu'il marchandait pour l'accès, le savoir échangé sous des plafonds fissurés par le soleil et le temps. Il était à la fois archive et ouverture. Il n'était pas entre les cultures. Il était la tension tressée à travers elles.


Cartographier les Monuments : Arpenter la Pierre et la Lumière du Caire

Au milieu des années 1830, Prisse d'Avennes avait renoncé à sa nomination militaire non pas avec cérémonie mais avec un haussement d'épaules. Les casernes de Damiette, autrefois un poste pour l'instruction topographique, s'étaient calcifiées en administration—un vocabulaire de tampons en caoutchouc et de retards. Les pierres du Caire, en revanche, parlaient encore. Alors il a pivoté, non pas avec fanfare mais avec friction : il a remplacé la bureaucratie par le pèlerinage, l'instruction par l'enregistrement, l'ordre militaire par la grille agitée du travail de terrain. À partir de ce moment, son allégeance appartenait à l'architecture—enregistrée, non imaginée; mesurée, non romancée.

Partout où il allait—mosquées haletant sous la suie, palais à moitié digérés par le temps, minarets inclinés comme des diapasons cassés—il dessinait, mesurait, pressait. Pas seulement avec un crayon mais avec méthode : plume, compas, papier de lin, photographie à l'albumine, calques transparents, et estampages tracés à la main. Son travail de terrain était une cartographie croisée avec une autopsie. Il désassemblait l'espace en formes encrables. Un dôme n'était pas courbé—c'était un arc, un poids, une tension, une chute d'ombre. Un chapiteau de colonne n'était pas orné—c'était un fragment modulaire, répétable. Le Caire, dans ses pages, devenait une grille de systèmes proportionnels superposée aux résidus du temps et des intempéries.

Ses carnets—maintenant à la Bibliothèque nationale de France—sont moins des documents que des accumulations. Accrétion. Ils portent la structure tactile d'un esprit résistant à l'impermanence : des diagrammes gonflés d'annotations, des élévations superposées à côté d'anecdotes annotées de la vie de rue ou de dommages structurels. Rien de statique. Même les dommages étaient dynamiques.

Lorsque l'acquisition directe de monuments—toujours une tentation, de plus en plus un crime—est devenue logistiquement compliquée et diplomatiquement sensible, il s'est adapté. Au lieu de retirer, il a conçu la duplication. Lors de la mission officielle de 1858-1860 en Haute-Égypte, il a enrôlé Édouard Jarrot, un photographe parisien, et Willem de Famars Testas, un peintre néerlandais. L'appareil photo de Jarrot a capturé les façades avec une exposition nette, puis Testas les a peintes, superposant l'atmosphère, ajustant les figures, réintroduisant parfois des ornements architecturaux trop faibles pour l'objectif. Ce n'étaient pas des contrefaçons. C'étaient des renforts emphatiques : des enregistrements hybrides dans lesquels la pierre, l'ombre et la supposition coexistaient.

Ses méthodes étaient protéiformes. Une inscription frottée était stockée non seulement comme image mais comme mémoire de surface : texturée, répétable. Un mur tracé en calque n'était pas une décoration—c'était une preuve. Un badigeon pouvait être appliqué aux voûtes pour extraire des contrastes plus nets ; un échafaudage pouvait être érigé simplement pour atteindre une seule corniche. Tout cela sans déloger une pierre. Tandis que d'autres emballaient des caisses, Prisse rendait la caisse inutile : le monument se repliait sur le papier, réduit à l'échelle, contexte noté, défauts intacts. C'était la fidélité sans vol.

Ce n'était pas un catalogage passif. C'était une préservation tactique. Une grammaire architecturale complète, rendue portable, répétable, lisible à travers la distance culturelle. Ce que l'État français n'a pas réussi à maintenir, et que l'administration ottomane ne pouvait pas prioriser, Prisse l'a traduit en diagramme et en encre. Pas pour restaurer—mais pour empêcher l'oubli.

Ainsi, la pierre et la lumière du Caire sont devenues transmissibles. À Paris, les lithographies ont reproduit ces structures en couches : ombres de l'angle du Nil à midi, inscriptions usées jusqu'à la pré-langue, arabesques coupées par des ajouts ultérieurs. Les architectes les ont étudiées. Les collectionneurs les ont accumulées. Les musées les ont utilisées comme substitut. La ville elle-même n'avait pas bougé, mais elle s'était multipliée. Et derrière chaque copie se trouvait la trace de la compulsion d'un homme : fixer au graphite ce que l'histoire laissait se dégrader.


Des Palais et des Mosquées : L'Art Arabe, la Galerie Ouverte du Caire

Le livre n'était pas un livre. C'était un couloir. Un mausolée. Un portail qui pliait le temps en page et l'ornement en langage. Entre 1869 et 1877, Prisse d'Avennes a publié L'Art arabe d'après les monuments du Caire depuis le VIIe jusqu'au XVIIIe siècle —trois volumes imprimés à Paris mais évoqués à partir des ossements du Caire. Ce n'était pas un bibelot esthétique. C'était une résurrection architecturale : plus de cent chromolithographies représentant des mihrabs, des moucharabiehs, des arabesques, des muqarnas, des dômes en bois, des corniches en pierre, des becs de fontaine et des escaliers traversés par le soleil. Il n'a pas assemblé un livre d'art. Il a construit une galerie portable—islamique, égyptienne, médiévale, impossible à reproduire à l'œil nu.

La vision originale avait été encore plus décadente. Il avait proposé Miroir de l’Orient, une procession sérialisée de pages ornées, un spectacle pour le salon impérial. Le projet a échoué dans la logistique. Mais la vision s'est condensée—resserrée, assombrie, concentrée—et a émergé comme L’Art arabe : non pas un spectacle, mais une documentation. Pas de fantaisie, mais de la structure. Pas de façades pastel. Pas de brume d'opium. Juste la clarté féroce de la forme se répétant à travers les siècles.

Dans ces pages, les carreaux deviennent des tessellations. La calligraphie s'imbrique avec l'architecture. Une corniche levée d'une madrasa à Bāb Zuweila fait écho à une autre d'un minaret du 10ème siècle. Chaque illustration porte une géographie annotée, un placement historique, un comportement structurel. La symétrie n'est jamais une métaphore. C'est un argument.

Mais L’Art arabe n'était pas muet. Son introduction bouillonne d'intention. Prisse déclare que l'art islamique n'est ni dérivé ni exotique. C'est, selon lui, la convergence de l'Est sassanide et de l'Ouest hellénistique, renouvelée sous les pressions théologiques de l'Islam. La géométrie ici n'est pas un ornement—c'est une dévotion calcifiée. Il voulait que l'Europe voie que son idée de l'abstraction avait déjà été dépassée par les maçons du Caire, que ses cathédrales n'étaient pas seules dans leur extase de forme.

Il ne cherchait pas à glorifier. Il cherchait à corriger.

Ce qu'il a créé n'était pas neutre. Ses images ont été recadrées, colorées, intensifiées. Les superpositions de Testas ont ajouté un contexte atmosphérique, affiné le contour. Prisse n'a pas hésité à mettre en scène. Ce n'étaient pas des instantanés. C'étaient des interprétations, orientées vers la préservation, oui, mais aussi vers l'influence. Il voulait que cette architecture ne soit pas seulement admirée, mais étudiée, imitée, développée.

Pour les architectes occidentaux, L’Art arabe est devenu manuel et manifeste. Il a été référencé dans les façades, répercuté dans les colonnes, imité dans les vitraux et les escaliers. Prisse n'avait pas seulement documenté la grammaire visuelle médiévale du Caire—il l'avait exportée. La syntaxe décorative de la ville a voyagé, non pas comme un artefact, mais comme un langage de motifs. Une forme d'influence rendue possible uniquement parce que la source s'effritait.


Orientalisme et Empire : Un regard critique sur le regard de Prisse

Aucun trait d'encre du XIXe siècle n'échappe à l'empire. Prisse d'Avennes le savait, même s'il ne le nommait pas. Il opérait au carrefour du désir et de la documentation—où chaque mesure de l'avant-toit d'une mosquée doublait comme un geste de propriété. Dessiner, c'était délimiter. Annoter, c'était impliquer l'autorité. Son archive, exquise et exhaustive, n'était jamais en dehors du périmètre du pouvoir.

Il n'était pas seul sur le terrain. L'ombre de Napoléon planait encore sur l'Égypte, son corps scientifique ayant semé une faim coloniale qui persista longtemps après que les canons se soient tus. Au moment où Prisse esquissait des mihrabs et traçait des bas-reliefs coptes, les Britanniques avaient rejoint le relais impérial, superposant la bureaucratie ottomane à l'extraction européenne. Dans ce concours, Prisse s'est inséré—non pas comme soldat, mais comme voyant. Pourtant, ce qu'il voyait n'était jamais non filtré. L'objectif portait une intention.

Même la photographie, cet indice supposé de vérité, se pliait à la volonté esthétique. Lors de sa mission en Haute-Égypte, l'objectif de la caméra d'Édouard Jarrot a capturé les façades des temples, mais c'est Willem de Famars Testas qui les a repeintes—affinant les lignes, insérant des figures humaines, reconstituant la lumière. Le résultat n'était pas trompeur, mais il n'était pas non plus innocent. Ce n'étaient pas des documents. C'étaient des reconstructions destinées à une imagination européenne qui confondait ruine et révélation.

Ce qui complique Prisse, c'est qu'il n'était pas un voyeur. Il s'est intégré. Il a appris l'arabe, porté des vêtements égyptiens, s'est lié d'amitié avec des imams et des ingénieurs. Il écoutait. Ses carnets vibrent de dialectes villageois, de superstitions, de poésie de rue. Ce n'était pas de la mimique. C'était une méthode. Et pourtant—il publiait toujours pour Paris. Il arrangeait toujours le passé du Caire en grilles acceptables pour les salons et académies de la métropole. Le regard hybride qu'il incarnait—intime, révérencieux, extractif—défie une classification nette.

Les chercheurs l'ont qualifié de paradoxe. Mercedes Volait a noté l'«exceptionnelle quantité de temps, d'énergie et de ressources personnelles» qu'il a investie dans la préservation de la culture visuelle égyptienne. Il a consulté des cheikhs locaux. Il a tracé des graffitis qu'aucun musée n'hébergerait. Ses croquis ethnographiques ont capturé non seulement des monuments, mais aussi les personnes qui les entouraient—travailleurs, fidèles, enfants à moitié perdus dans l'ombre. Mais même ces moments étaient organisés.

La critique postcoloniale moderne a démantelé le mythe du collectionneur objectif. Prisse ne peut être lu en dehors de ce démantèlement. Il est une figure de contradiction : simultanément préservant et cadrant, simultanément documentant et effaçant. Ses publications sont des chefs-d'œuvre. Elles sont aussi des interventions. La beauté même qu'elles diffusent a un coût—la perte de contexte, la réorganisation de l'histoire pour répondre aux attentes étrangères.

Pourtant, le réduire à un simple agent de l'orientalisme, c'est simplifier ce qui est dense. Ses dessins contiennent des motifs disparus , ses tracés enregistrent des surfaces maintenant effacées par la négligence ou la modernisation. Sans lui, l'archive serait plus petite, plus creuse. Ses contradictions ne l'absoudent pas. Mais elles nous rappellent que même les chroniqueurs de l'empire peuvent parfois pleurer ce qu'ils aident involontairement à démanteler.


Héritage Gravé dans l'Encre et la Pierre

Émile Prisse d’Avennes est mort sans fanfare, mais son archive non. Elle a métastasé. En 2011, plus d'un siècle après son dernier tracé, le Louvre et la Bibliothèque nationale de France ont convoqué une réévaluation : Visions d’Égypte, une exposition qui a assemblé ses dessins, plans architecturaux, fragments de papyrus, lithographies et carnets en un seul cadre—une partie monument, une partie question. Les visiteurs se déplaçaient entre les vitrines comme entre les siècles. Le passé n'a pas été ravivé. Il a été réimprimé.

Les conservateurs savaient ce qu'ils faisaient. Ils ont exposé non seulement ses réalisations visuelles mais aussi les conditions dans lesquelles elles ont été réalisées. Ses frottis étaient flanqués de commentaires. Ses calques étaient contextualisés par ce qu'ils excluaient. Pourtant, la puissance des images tenait. Des mihrabs qui n'existent plus flottaient en pigment et en ligne. Les plans d'étage préservaient les proportions de bâtiments depuis démolis ou gentrifiés au-delà de toute reconnaissance. Ce que l'empire a extrait, Prisse l'a parfois traduit.

Cette traduction continue. Plus de 1 200 de ses dessins et tracés sont maintenant en cours de numérisation. Non seulement scannés, mais re-contextualisés—superposés avec des métadonnées, liés à des enregistrements de sites historiques, annotés par des chercheurs contemporains. Ce ne sont pas des documents statiques. Ce sont des outils actifs : utilisés par des conservateurs réparant des mosquées, par des historiens suivant des généalogies visuelles, par des artistes disséquant les esthétiques coloniales. Son travail, né du graphite et de l'encre, vit maintenant en pixels et hyperliens. Ce n'est pas une résurrection. C'est un transfert.

Mais l'archive numérique ne simplifie pas l'homme. Si quelque chose, elle intensifie les contradictions. Ses méthodes—précises, tactiles, étonnantes par leur portée—éblouissent encore. Mais les questions persistent : Qui a choisi ce qui valait la peine d'être préservé ? Pourquoi ses éditions parisiennes ont-elles circulé alors que les histoires orales locales se sont fanées ? Quels motifs ont été encadrés et lesquels effacés ? Dans la lueur de l'archive, ces tensions ne s'estompent pas—elles vacillent.

La critique postcoloniale n'a pas invalidé son travail. Elle a compliqué sa réception. Prisse se tient maintenant non pas comme un exemple ou un méchant, mais comme une charnière : entre empire et conservation, entre admiration et appropriation. Un héros prudent dont la fidélité à la forme n'a jamais complètement échappé aux structures de pouvoir dans lesquelles elle était enchevêtrée.

Dans les marges de ses carnets, Prisse a enregistré plus que des mesures. Il a griffonné des conversations—des histoires à moitié entendues des fellahs, des aphorismes des scribes de cour, des invocations murmurées pendant le thé. Ces fragments restent non traduits, suspendus comme des particules de poussière au-dessus d'un croquis terminé. Ce sont les parties qu'aucun éditeur n'a demandées. Ce sont aussi celles qui font respirer l'archive.

Il se déplaçait à travers le temps non pas comme un collectionneur, mais comme un conduit. Entre Le Caire et Paris, entre mosquée et musée, entre empire et entropie, il a construit quelque chose de trop indiscipliné pour être canonisé. Une lanterne, peut-être—pas un phare, pas un sanctuaire. Juste une lanterne dans les archives, vacillant à travers les ruines et les archives, nous demandant de lire plus attentivement, de regarder sans présumer de propriété, de tracer sans extraire.


Liste de lecture

  1. Prisse d'Avennes, Émile. L'art arabe d'après les monuments du Kaire depuis le VIIe siècle jusqu'à la fin du XVIIIe. Paris: Morel, 1869–1877. Lien
  2. Prisse d'Avennes, Émile. Histoire de l'art égyptien d'après les monuments depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine. Paris: Arthus Bertrand, 1878. Lien
  3. “Papyrus Prisse.” Wikipédia. Lien
  4. “La Chambre des Ancêtres du temple d'Amon-Rê à Karnak.” CNRS. Lien
  5. Émile Prisse d'Avennes.” Wikipédia. Lien
  6. “L'art arabe vu à travers les monuments du Caire.” Bibliothèque du Congrès. Lien
  7. “Visions d'Égypte: Émile Prisse d'Avennes (1807–1879).” Éditions de la BnF. Lien
  8. “Émile Prisse d'Avennes.” Musée d'Orsay. Lien
  9. “Émile Prisse d'Avennes.” Swaen.com. Lien
  10. “Art Arabe / Arabische Kunst / L'Art Arabe: Les Planches Complètes de L'Art Arabe.” Amazon. Lien
Toby Leon
Tagué: Art